Publié le 23/06/2022 à 15:14
Créée mercredi, à l'Opéra-Comédie, à Montpellier, "Act II&III or The Unexpected Return Of Heaven And Earth", la nouvelle pièce d’Emanuel Gat rend hommage tout autant à “Tosca” de Puccini qu’à ses danseurs, et à la lumière. Une splendeur nue et noire !
Si la 42e édition du festival Montpellier Danse s’est ouverte par un feu d’artifice glam pop et glitter rock (la jubilatoire Stéréo de Philippe Decouflé, dont on n’oubliera pas de si tôt l’ivresse souriante), les grandes partitions y sont en majesté. Ainsi Pontus Lidberg s’est-il saisi de Kurt Weil pour Les sept péchés capitaux, Pol Pi met du Chostakovitch In your head encore ce vendredi, Hooman Sharifi se collette vendredi et samedi dans Sacrifice while lost in salted earth à Stravinsky et grâce à Anne Teresa De Keersmaeker, avec la complicité d’Amandine Meyer, on entendra les Mystery Sonatas de Biber, mercredi, jeudi et vendredi prochain.
En attendant, mercredi et jeudi, c’est Tosca de Puccini que le festival a donné à entendre, pas n’importe quelle version : l’enregistrement historique, sublime, de 1965, dirigé par Georges Prêtre, interprété par Maria Callas (Tosca), Carlo Bergonzi (Caravadossi) et Tito Gobbi (Sciarpa). Pour sa création Act II&III or the unexpected return of heaven and earth, Emanuel Gat n’en a donc retenu que deux actes, qu’il a dépouillés de toute considération narrative. De même que ses danseurs seront, dans un premier temps, dénudés ur un plateau semblant de même, vide.
Pour minimaliste que soit la scénographie, elle n’en est pas moins puissante, qui reproduit la lumière singulière des deux studios où cette création a surgi : pour le Cunnigham de l’Agora de la danse de Montpellier,elle est perpendiculaire, blanche et forte à cour, douce et orangée à jardin ; pour celui du Commandeur, de l'Arsenal à Metz, elle est verticale, diffuse et rare... Si les onze danseuses et danseurs vont apparaître nus, sortant successivement d'une fente centrale dans le lourd rideau du lointain, ils seront élégamment couverts de cet habit de lumière.
Une splendeur qui confine au mystique
Ainsi Emanuel Gat n'exhibe-t-il pas leur plastique dans sa crudité, mais la profile stricto sensu. Autrement dit il la sculpte dans sa singularité. Et naturellement la personnalité de l'envelopper. On reconnaît le langage du chorégraphe mais son articulation n'appartient pour le coup qu'à chacun de ses interprètes, et ils se suivent mais ne se ressemblent pas. Leurs solos sont étourdissants, pigments de peau, pigments de peinture volant dans un cube à la noirceur lumineuse, et leurs mouvements possèdent l'insondable évidence du geste soulagien... Une splendeur qui confine au mystique.
Dans un second temps, et troisième acte de Tosca (dont au passage la sonorisation spatialisée bouscule l'écoute ordinaire de l'opéra, la revitalise), tous les danseurs partagent le plateau. Vêtus d'obsidienne. Drapés de deuil. Sans que l'on sache dire à quel instant, le drame surpuissant, et à ce stade du récit tellurique, a contaminé leurs chairs, leurs muscles, leurs tendons... Désormais on le sent poindre dans leurs élans comme leurs poses. Courses, portés, échanges, mouvements d'ensemble, trios, pas de deux, solos... tout nous dit quelque chose, littéralement, symboliquement. Du reste la lumière se fait, elle aussi, plus expressive, et s'agissant d'une tragédie superlative, carrément expressionniste. Et quand ils viennent à se figer groupés, la peinture romantique n'est plus très loin.
Enfin, par un effet ludique assez merveilleux, Emanuel Gat boucle sa création, lui faisant retrouver sa source en atelier : la musique semble aspirée vers la coulisse et, tandis que certains poursuivent leurs évolutions, les autres danseurs rejoignent le lointain, s'y adossent et papotent en attendant... En attendant quoi ? qui ? Mais bientôt l'opéra les repousse vers l'avant-scène. Ce qui tombe assez bien : on en redemandait. Encore !
Act II&III or The Unexpected Return Of Heaven And Earth d'Emanuel Gat - Ce jeudi soir à 21 h, à l'Opéra-Comédie, à Montpellier. 5€ à 37€. 04 67 60 83 60.